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Témoignage

C’était une autre manière de prendre soin de moi et surtout une autre manière de me voir

J’ai découvert le projet « Un Anonyme Nu Dans le Salon » par une publicité sur Facebook. Habituellement, je me contente de supprimer ces publicités sans vraiment les regarder comme une énième nuisance. Celle-ci m’a interpellée. Elle était différente. Rien que le titre du projet provoque quelque chose. Anonyme et nu, c’est ces deux mots côte à côte m’ont intriguée. J’ai trouvé le concept original. Il y a quelque chose dans le descriptif du projet qui a raisonné avec mon amour de la vie, mon attirance pour une vision simple et juste des choses naturelles. J’ai été séduite par les photos, par la vie qu’elles dégagent, et par le projet. Je dois préciser que je suis assez peu réceptive à la photographie en général. Les photos retouchées qu’on voit tout le temps dans les pubs sont sans doute en grande partie la cause de ce désintérêt. Pourtant, il m’est aussi arrivé, de manière très ponctuelle, de voir des photographies d’art et d’en apprécier certaines. Il y a de très belles choses dans ce domaine mais il m’attire peu. J’ai vraiment aimé les photos de la collection « Purity ». Elles dégagent quelque chose de pur, de sobre et d’extrêmement délicat. J’ai été saisie par la finesse du portrait d’un vieil homme assis, les bras entourant ses jambes, tête baissée. J’ai trouvé cet homme très digne, très beau. La collection « backstage » m’a touchée d’une manière différente. Elle est plus sombre, plus tranchée. Elle me donne l’impression d’une grande élégance un peu sauvage. Elle capte quelque chose qui impose un arrêt et donne envie de découvrir, de comprendre, de ressentir cette ambiance si particulière. En parcourant ces photos, j’aime voir ces personnes toutes différentes. Si parfois les poses peuvent se ressembler, les corps sont uniques. J’aime leur diversité. Chacun a sa personnalité. Idan en a fait ressortir la beauté. 

Curieuse de nature, j’aime expérimenter de nouvelles choses. C’est un trait de caractère qui s’est développé au fil du temps. Récemment, j’ai eu quelques moments un peu difficiles qui m’ont laissée épuisée. J’en ai tiré un besoin de découvrir plus profond, plus impérieux. C’est une sensation qui se situe entre la faim de la découverte et la gourmandise. Je me suis inscrite, un peu sur un coup de tête, sans vraiment savoir ce que je cherchais ni même si je cherchais quelque chose. Je cherchais sans doute à faire quelque chose d’unique. J’étais dans un état d’esprit très particulier. Chaque chose nouvelle que je pouvais vivre, découvrir, apprendre ou réaliser était un peu comme partir pour une chasse au trésor. J’ai toujours ce plaisir. Il est moins impérieux mais la perspective d’une nouveauté reste une grande joie pour moi.

Le rapport à mon corps n’a jamais été une priorité pour moi. Pendant longtemps, je ne prêtais absolument aucune attention à mon aspect extérieur. La manière dont j’étais habillée ne m’intéressait pas du tout. Tant que mes vêtements étaient confortables, ça me convenait. J’ai commencé à faire un peu plus attention à la manière dont je suis vêtue quand j’ai commencé mon métier de comptable où ma tenue vestimentaire pouvait avoir une certaine importance vis-à-vis de la clientèle. A cette époque, j’ai croisée une femme de l’âge de mes parents, une responsable. J’ai été frappée par son élégance. Le temps était bien passé sur elle mais elle avait quelque chose dans son apparence, dans son maintien et ses vêtements qui la rendait très belle. J’ai eu envie de dégager moi aussi quelque chose. Je ne suis pas pudique, la nudité ne me dérange pas. Je l’ai peut-être été très légèrement adolescente mais c’est passé. J’ai vécu un moment parmi des gens, principalement des hommes, pour qui ça n’avait aucune importance. Je suis toutefois souvent confrontée à des personnes qui le sont. En général, je prends soin de respecter leur pudeur. Cependant il m’arrive d’oublier et d’ouvrir la porte à moitié vêtue quand une amie vient me rendre visite et que je ne suis pas prête, ou de me changer devant tout le monde après le sport en omettant de le faire discrètement. Me voir en sous-vêtements surprend quelquefois mes partenaires masculins.  

Il y a quelques années, j’ai fait de l’escrime. Avant ça, il n’était pas question de me faire faire quelque sport que ce soit. J’ai fait cinq ans d’escrime. En ce moment, mon corps a beaucoup changé. Mes muscles se sont développés, j’ai commencé à bouger de manière plus fluide. J’ai senti mon corps se transformer profondément. J’ai un peu oublié cette sensation en cessant ce sport. Je suis passée d’un travail très dynamique en commerce à un travail de bureau. Je me suis fait poser un implant contraceptif qui m’a fait prendre beaucoup de poids. J’ai dépassé les 75 kg pour 1m60. J’ai commencé à avoir des problèmes de santé. Puis, dépassée par les évènements, j’ai décidé de perdre du poids. C’était une manière de reprendre ma vie en main. Alors que mon rapport à mon corps s’était réduit à un surpoids et à de violents maux de tête, j’ai de nouveau senti qu’il pouvait être différent. J’ai eu envie de pratiquer un nouveau sport. J’avais beaucoup changé et l’escrime ne m’attirait plus. Je voulais quelque chose de nouveau. Il y a deux ans, j’ai décidé de pratiquer un art martial. J’en avais envie depuis longtemps. J’ai essayé le kali eskrima (art martial philippin qui se pratique essentiellement avec des bâtons) et je me suis retrouvée à pratiquer ce sport et le chanbara (escrime japonaise qui se pratique avec des sabres en mousse). Ce sont deux pratiques qui modèlent à la fois le corps et l’esprit. Ce ne sont pas uniquement des sports. Ce sont aussi des arts de vivre auxquels sont attachées de profondes valeurs de respect de soi et des autres. La pratique d’arts martiaux a changé mon rapport à mon corps, ma manière de me tenir, de le ressentir. Mes muscles se sont de nouveau développés. Mon corps a changé de forme. Il est devenu plus harmonieux et plus confortable. Mes capacités d’attention, de réflexion, ma coordination se sont affinées. Je suis devenue moins maladroite, plus précise, plus rapide, plus vive, plus détendue, plus sereine. Je m’y suis sentie plus à l’aise. Dans ce contexte, poser pour le projet « un anonyme nu dans le salon » me semblait être une chance de voir mon corps d’une manière encore différente, cette fois dans une dimension visuelle. Cette expérience m’a permis de prendre conscience de l’aspect extérieur de mon corps non plus dans ma posture, mes mouvements et ma musculature mais dans une beauté physique que j’ai toujours négligée. J’avais envie de me voir belle.

J’étais très excitée à l’idée de faire cette expérience. Je ne voulais pas attendre. J’en ai parlé à très peu de monde autour de moi. Ce n’était pas par honte ou gêne ou quoi que ce soit du genre. C’était plutôt pour m’épargner des réflexions comme « Tu vas pas faire ça ? », « Tu n’as pas peur? », etc… Ce sont des réactions que j’ai suscitées plus d’une fois pour toutes sortes de choses que j’ai entreprises comme changer de métier ou de poste, partir en voyage seule, me couper les cheveux ou adopter un chat. Alors non, je n’ai eu pas eu peur de faire différentes expériences. L’avis de mon entourage ne m’a pas du tout empêchée d’en faire à ma tête. Ce type de réflexions est lassant et j’ai pris l’habitude de faire ce que je voulais en n’informant que certaines personnes très proches de moi. Malheureusement, la photo de nu est associée à la pornographie, ce qui est fort dommage car les corps ont une beauté simple qui mérite d’être rappelée. Ce qui est curieux, c’est que personne ne m’a jamais posé ce genre de question quand j’ai pris rendez-vous avec un ostéopathe pour la première fois, alors qu’on s’y trouve en sous-vêtements et qu’en plus, l’ostéopathe touche ses patients. Les personnes à qui j’en ai parlé ont eu la réaction attendue, ce qui n’a absolument pas entamé mon enthousiasme. J’avais pris le temps de visiter le site et le projet me semblait sérieux. Cette expérience était devenue très importante pour moi. Je sentais que ça m’apporterai quelque chose. Je pense que les nouvelles expériences font grandir. Je crois qu’il y avait là un besoin intime que je voulais réaliser. 

J’ai pris le temps de regarder les photos exposées au studio. Elles étaient vraiment belles, tirées en grand format et exposées sur les murs ! Je n’aime pas le numérique. Il n’y a rien de telle qu’une œuvre d’art exposée physiquement dans un lieu et dans des conditions qui la mettent en valeur. C’est comme ça qu’elle acquière toute sa puissance et qu’elle est la plus belle. Regarder ces photos dans ces conditions était apaisant. Je n’avais pas besoin d’une nouvelle motivation. 

Il a été un peu étrange de sortir nue de derrière le paravent mais j’ai très vite oublié cette sensation. C’était tout naturel et je n’y ai vite plus fait attention. Poser a été très étrange au début. J’avais un peu oublié que je n’aime pas du tout poser pour des photos, que ce soit des photos de groupes, entres amis, en famille ou seule. En général, j’évite de le faire. J’étais mal à l’aise de poser, de prendre des positions qui n’étaient pas du tout naturelles, parfois un peu inconfortables. J’avais le réflexe de me figer à chaque pose. Sourire quand on me demande de sourire est quelque chose d’impensable. Pour moi, ça ne peut être que spontané. C’est quelque chose que je fais de manière naturelle. Je suis incapable de faire semblant de sourire. Puis c’est passé. Je me suis détendue et c’est devenu amusant. Le temps de la pose est passé très vite. J’ai oublié le côté « pose » et j’ai passé un merveilleux moment. Il m’était tellement naturel d’être nue qu’il m’a paru étrange de me rhabiller. C’était un peu comme refermer quelque chose.

 J’étais fascinée de découvrir les photos. Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais. Certaines me ressemblaient vraiment, telle que je me vois dans un miroir. Je reconnaissais bien mes traits, mon corps, ma manière de me tenir. Idan a su saisir des expressions et des attitudes qui sont moi, des petites mimiques naturelles et spontanées qui n’appartiennent qu’à moi. D’autres sont plus surprenantes, magnifiques. Je ne savais pas que je pouvais ressembler à ça. En les découvrant, je savais que c’était des photos de moi, mais d’un moi totalement étranger, différent, presque une autre, très belle. J’ai voulu en prendre un tirage pour moi. Le numérique ne fait jamais le même effet que le réel. Il m’aurait paru étrange de faire cette démarche et de ne pas repartir avec une photo. Je savais qu’une photo numérique ne sortirait jamais de mon ordinateur et qu’elle finirait oubliée dans un dossier sans que je n’y touche plus. Le choix a été difficile. Il y en avait plusieurs qui me plaisaient vraiment. J’étais fascinée de voir Idan les trier. Je n’aurais pas pu faire un choix seule. Je crois qu’on a sans doute passé plus de temps sur cette sélection pour moi. Finalement, il en est resté trois. Je n’ai pas pu les départager. Elles étaient à la fois très belles et toutes différentes. Au début, je ne voulais pas les accrocher chez moi, juste les avoir, comme une sorte de preuve que je pouvais aussi être cette belle femme. Je trouvais bizarre d’accrocher des photos de moi chez moi, et tout particulièrement des photos de moi nue. Je ne sais pas pourquoi cette timidité me freinait ainsi. Après tout, faire cette démarche était vraiment quelque chose de spécial. Je pense que ça a remué beaucoup de choses en moi. 

Cette expérience a été vraiment merveilleuse, surprenante. C’était une autre manière de prendre soin de moi et surtout une autre manière de me voir. C’est une démarche très personnelle. Les photos qui ont été réalisées, celle qui rejoint le projet et les deux autres que j’ai choisies, sont des œuvres d’art, ce qui les rend vraiment spéciales en elles-mêmes. Je suis très contente de faire partie de ce projet artistique. D’une manière beaucoup plus intime, elles me permettent de réaliser que mon corps est beau, qu’il ne se limite pas à des sensations physiques. Elles me renvoient une image de ma féminité qui me plait beaucoup. Ces photos sont, en plus de leur nature d’œuvre d’art, une autre vision de moi, de ce que j’étais à cet instant particulier, une vision que je pourrai exposer chez moi, garder pour moi ou transmettre, peut-être. Les recevoir par mail a été un joli moment. En lisant l’objet « Votre photographie est prête », j’ai pensé « déjà ? » et j’ai été très excitée. Je n’ai pas pu attendre, j’ai tout de suite ouvert les photos. Je ne trouve pas de mot pour décrire la sensation que j’ai eue en les redécouvrant. J’avais hâte de les recevoir. Elles sont encore plus belles que dans mon souvenir. Je suis vraiment heureuse de ce qu’elles représentent pour moi. Elles me montrent une part de moi lumineuse que je ne connaissais pas. Cette expérience a complété quelque chose chez moi. Une pièce dans ma perception de moi s’est mise en place et m’apporte une nouvelle harmonie. Elles me montrent ce que je suis devenue après une période intense de profonds changements dans ma vie. Je pense que je retenterai l’expérience, un jour. Je le ferai sans doute quand une nouvelle période de grands changements se produira. Je le ferai aussi peut-être plus tôt, juste pour le plaisir de la beauté.