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Lost Room : des photographies hors du temps et de l’espace
Idan nous parle de la collection Lost Room, une collection intrigante, décalée et remplie d'humour.
Le projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon, mis en place en 2009, regroupe différentes collections. Une pièce hors du temps et de l’espace. C’est sa collection Lost Room qui téléporte les gens de tous les jours dans un lieu presque surréaliste. Plein d’objets insolites. Idan Wizen, son créateur, nous en dit un peu plus sur cet univers étrange, hors du commun.
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Tête-à-tête avec l’artiste Idan Wizen
Bonjour, je suis Idan Wizen le photographe du projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon. On m’a demandé aujourd’hui de parler d’une des collections, la collection Lost Room, qui a été réalisée entre 2013 et 2014. Cette collection comprend 100 photographies de 100 personnes différentes qui sont venues poser, généralement pour la première fois sans casting, et qui ont été projetées justement dans cet univers assez intrigant.
Que signifie le titre ?
Lost Room, ce titre a été inspiré d’une mini série télévisée qui s’appelait de The Lost Room qui m’avait beaucoup marqué et qui était une série de science fiction où justement, la particularité, c’était d’avoir des objets déplacés hors de l’espace et hors du temps, et pas mal d’anachronisme. C’est ce qui m’a plu. J’ai voulu faire à peu près la même chose en déplaçant des gens hors de l’espace, hors du temps pour les prendre en photo dans le plus simple appareil.
Pourquoi avoir choisi une pièce d’appartement pour cette collection ?
Alors avant tout, ce n’est pas forcément une pièce d’un appartement, c’est une pièce qui pourrait être un peu n’importe où. C’est un peu un imaginaire surréaliste avec des inspirations de type Edgard Allan Poe. Pourquoi avoir voulu changer ? J’ai voulu faire évoluer mon style, mon univers, ce que je racontais avant. J’essayais de sortir les modèles d’un contexte socioculturel, ils étaient dans un fond uni, ce qui avait de plus neutre au fond. Sur la première collection, ils sont sur un fond noir. Et puis, petit à petit, je vais teinter, colorer, rajouter des éléments. Ici sur Lost Room, je les déplace au fond, hors de notre univers, dans quelque chose qui est sacralisé, un peu délirant et un peu dément.
Cette pièce provient-elle d’une époque spécifique ?
Non, ce n’est pas une pièce d’une époque spécifique. Pour moi, c’est juste des couleurs, des formes, un univers. C’est une pièce sans fenêtres, mais sans porte également. On ne peut pas y rentrer. On ne peut pas y sortir. C’est juste des éléments graphiques, mais qui ne représentent pas forcément un endroit prédéfini ou préconçu.
D’où viennent ces objets ?
Les objets dans la pièce, pour la petite anecdote, ont été récupérés dans l’appartement d’une vieille femme qui est décédée. C’était la voisine d’un ami qu’il ne connaissait pas, moi non plus et qui n’avait pas d’héritier, pas de descendant. Et ces éléments allaient partir encombrants. Ce qui m’a plu, c’est que cette femme habitait dans cet appartement depuis plus de 60 ans et donc ces éléments, son appartement, c’était un véritable cabinet de curiosités. Des choses qui avaient vécu, qui avaient une histoire, que je ne connaissais pas et j’ai voulu les récupérer pour leur donner une deuxième vie, pour les réintégrer, leur donner une nouvelle vision des choses dans ces photographies.
Les objets présents sur la collection donnent-ils un sens à la photographie ?
Oui, les objets, forcément, vont donner un sens à la photographie, mais il va avoir l’idée d’avoir une libre interprétation de chacun. J’ai voulu globalement les utiliser, dans un aspect assez farfelu, assez décalé. Un vieux porte-manteau est utilisé comme une lance, un pied de lampe utilisé comme une épée, un meuble qui n’est pas du tout là pour que l’on grimpe dessus. Mais qui nous donne justement, un visuel et un esthétisme vraiment différent et vraiment surprenant.
Est-ce les modèles qui choisissaient les objets ?
Non, les objets, je ne laissais pas les gens les choisir, je les choisissais moi, on a un petit entretien avant chaque séance photo où l’on parlait un peu de qui ils sont, de leurs raisons pour venir poser. Et en fonction de ça j’essayais de raconter une histoire, celle que ce dont j’avais envie, celle qui, je trouvais, correspondait à la personne que j’avais en face de moi. Et donc, je choisissais les différents objets pour ça. Pourquoi je ne voulais pas les laisser choisir ? L’idée est avant tout de les sortir de tout contexte socioculturel comme sur l’ensemble des collections du projet. L’idée, c’est qu’on n’a ni information, ni leur âge, ni leur profession, ni leurs vêtements qui les positionnent socialement. Je ne voulais pas que le fait qu’ils choisissent des objets, justement, puissent redonner ces informations.
Il y a-t-il des oeuvres en particulier dont tu as envie de nous parler ?
Une des photographies que j’adore dans cette collection, c’est La Neptune. Elle me fait forcément penser à une déesse ou presque plus un dieu grec, celui de la mer où elle tient ce pied de lampe, qui fait office de trident. Elle est fière, assuré, certaine d’elle. Et justement, qui elle est dans la vie de tous les jours, ça, c’est au spectateur d’imaginer. Mais projeter justement cette pièce hors du temps et de l’espace, elle devient une déesse, la déesse de la mer, dans un endroit où il n’y a pas d’eau, c’est quand même un comble.
L’Illuminé, c’est une photo qui me plaît beaucoup. La photographie, par définition, on parle de lumières ; sans lumière, il n’y a pas de photographie. Ça paraît assez évident pour chacun d’entre nous. Et ça m’a plu de prendre un individu, de sortir d’un contexte socioculturel et de le rendre totalement ébahi par la lumière, par l’électricité, par cette lampe qui est là et qui va justement le faire rayonner dans son regard, dans son attitude, dans son côté un peu drôle et décalé de cette photo. Ce qui me plaît beaucoup dans cette collection, c’est que si on pense, si on imagine justement une photo de nu, je crois qu’on ne pense pas du tout à ce type de photographie, à cette lumière, ce type de personnage. C’est ça qui me plaît que je trouve génial.
Une autre dont j’ai envie de vous parler, ce serait Le Bureaucrate. C’est pour moi la représentation parfaite de l’oxymore. Une photo de nu, un fond totalement décalé, très baroque, un attaché-case et un homme qui a l’air plutôt austère et mécontent. Si on prenait ces différents éléments, jamais l’on vous dira que l’on peut faire une œuvre d’art, de nu artistique là-dessus. Et pourtant, je trouve qu’elle marche. Je trouve qu’on a un rendu, on rentre dedans. On ne sait pas si on doit avoir peur, si on doit en rire, si on est totalement décontenancé. Et je crois, comme sur toute la collection, Lost Room, c’est ce que j’ai envie, que le spectateur soit surpris.
Un dernier mot ?
Oui, je crois que la collection de Lost Room, c’est avant tout une centaine d’histoires différentes, très riches, souvent drôle, très décalée, à aller regarder attentivement, prendre un peu de temps pour essayer de les comprendre, et surtout laisser place à son imaginaire, aller réfléchir.