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Sanitized : ne plus chercher à plaire. Chercher à ne pas déplaire.
La crise sanitaire a-t-elle changé notre relation aux autres, à nous, au monde ?
Le projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon, mis en place en 2009 regroupe différentes collections. L’une d’entre elles nous a interpellée, créée après le premier confinement français, Sanitized nous plonge dans un décor hors du commun et pourtant qui nous parle à tous. Idan nous en dit un peu plus sur cet univers aseptisé.
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Tête à tête avec l’artiste Idan Wizen
Sanitized c’est une collection du projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon, une collection qui respecte les mêmes principes que les autres collections du projet. A savoir des modèles qui n’ont généralement jamais posé, (ni en photo, ni nus), ils ne sont pas castés, (tout le monde peut venir à partir de l’âge de 18 ans), et qui viennent pour une séance photo, où on va garder qu’une seule photographie de chaque individu. Il n’y a pas de retouches, ce sont des photographies authentiques de chacun, elles sont destinées à être faites en œuvre d’art jusqu’à de très grands formats qui font 80 x 120 cm, et qui sont destinées à être exposées, et puis éventuellement aussi bien dans des expositions, que chez les particuliers.
Pour cette collection, tu as mis en place un univers particulier. Peux-tu nous expliquer ton processus de création ?
L’idée de Sanitized est née après le premier déconfinement en France, vers mi-mai. Je me sentais dans l’obligation de parler de cette crise qui a touché l’humanité, mon projet lui-même parlant énormément de l’humanité. Ça me semblait indispensable en tant qu’artiste de l’intégrer dedans et de montrer l’évolution des corps, des attitudes, des êtres dans un nouveau monde, un monde qui connaît maintenant le Covid, et qui connaît une forme de changement d’évolution majeure.
Pourquoi le décor est-il entièrement recouvert de plastique ?
La première lecture, de mettre des objets en plastique, c’était pour nous un moyen très pratique, très rapide de reparler du Covid, de le révoquer. Le gel hydroalcoolique, ça se voyait pas vraiment en photo, le masque pour moi était vraiment gênant sur le projet, ça n’est pas quelque chose que je voulais faire, et le plastique parlait bien de ce besoin d’aseptisation, lié à la crise sanitaire.
Mais c’est également un sens plus profond, un sens secondaire que je voulais exprimer, qui était lié à l‘aseptisation de notre société. Non pas sur le plan sanitaire, mais sur le plan culturel, où de plus en plus on se dirige vers une société où tout doit être lisse, de ne pas dépasser, d’être politiquement correct, de ne pas déranger. Une société qu’on essaie de faire qui se doit de déplaire à personne, où tout doit être aussi aseptisé, aussi vide de vie que les bâches plastiques.
Sur les photos de Sanitized il y a un seul élément qui n’est pas sous plastique, c’est le modèle, parce que c’est lui qui représente encore l’avenir, le destin de l’humanité. C’est lui qui peut être différent, plein d’aspérité, c’est lui qui peut être dans quelque chose de moins standardisé, c’est ce qui crée, à mon sens, la beauté de l’humanité.
On perçoit deux couleurs dominantes : le bleu et l’orange, quelles sont leurs significations ?
Je pense qu’on va dans une société où on essaie de faire que ça soit une société qui ne déplaise à personne. Mon sentiment profond, c’est qu’une société qui ne déplaît à personne, je ne suis pas sûr qu’elle plaise à grand monde. J’ai voulu utiliser ces deux lumières pour créer une dualité. J’estime qu’aujourd’hui socialement on est à la croisée des chemins. On peut se diriger vers une société qui va vers de plus en plus d’aseptisation, et qui va vers une absence de vie, de différence, d’originalité ; ou au contraire, on peut reprendre les choses en main et de recréer de la différence, de la chaleur, de l’énergie et les spécificités de l’humain.
Est-ce que les émotions que l’on perçoit dans cette collection sont directement liées à la crise sanitaire ?
Dans le principe du projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon, je voulais créer mon univers, décor et mon expression artistique à travers les lumières, dans chaque collection. Mais je veux garder au maximum l’authenticité de chacun. C’est pour ça que sur les différentes photos de la collection, vous allez voir des gens qui sont plus abattus, des gens qui crient, des gens qui sont heureux, des gens qui sourient. Parce que chacun vient avec son histoire, son passif, avec ses émotions, et c’est ce que j’essaie de retranscrire avec chaque photo, peu importe l’univers, parce que même dans les univers les plus sombres on peut être heureux, dans les univers les plus joyeux on peut être tristes.
Lorsque tu as créé cet univers, as-tu appréhendé la réaction du public ?
C’est une collection très personnelle. J’avais vraiment envie de la faire, je savais que j’exprimais vraiment mon univers et j’avais peur qu’elle plaise pas énormément. J’avais peur que les réactions soient un peu interloquées, et que la nuance des couleurs, l’aspect plastique un peu moribond déplaisent. On n’est pas dans une collection qui parle de glamour, d’esthétisme, de sensualité, mais c’était quand même important pour moi de la faire.
Et du coup, comment ont-ils réagi ?
Ça m’a beaucoup surpris, mais la collection a été très appréciée, autant de la part des modèles qui m’ont dit qu’ils sont venus poser, parce que cette collection leur parlait en particulier, que de nombreux collectionneurs qui ont admiré et qui ont acquis de nombreuses oeuvres, parce que cette collection va avoir une double unicité : l’unicité de mon travail et ma vision des choses bien entendu, mais l’unicité par rapport au temps. Elle s’inscrit dans une époque qui a profondément et durablement bouleversé l’humanité.
Qu’est-ce que tu conseillerais à ceux qui découvrent la collection Sanitized ?
Je pense qu’en règle générale on passe pas assez de temps à regarder les photos. On y va très rapidement, on est dans une époque où on a l’habitude de swiper très rapidement. Moi, je vous conseillerai d’aller en exposition, s’il y en a près de chez vous, ou sur le site internet, et prendre le temps de regarder chaque photo. Passez cinq, dix, quinze secondes sur chaque photo. Regardez un regard, un sourire, une courbe, les détails. Passez à la suivante. Prenez le même temps. Revenez à la précédente. Repassez cinq, dix, quinze secondes. Je crois qu’une œuvre d’art, on ne s’en lasse pas, on apprend à la découvrir, et à être ému par celle-ci.