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Érotisée ou diabolisée ? Et si l’on sacralisait la nudité

Idan vous parle de sa vision de la nudité : rare, éphémère et sacralisée.

La nudité a toujours été au centre des débats sociétaux. Tabou ou source de libération, depuis des siècles le sujet anime les passions. Encore aujourd’hui, dans une société très ouverte, la nudité fait toujours polémique. Idan Wizen, artiste photographe et spécialiste de la photo de nu, nous dévoile sa conception de la nudité : une nudité rare, éphémère et sacralisée.

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Vous préférez lire que regarder une vidéo ?

Idan Wizen, artiste photographe à Paris depuis maintenant plus de dix ans, est l’auteur du projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon. Il a accepté, de répondre à quelques questions afin de nous faire part de son rapport à la nudité et la société d’aujourd’hui.

 

Nous aurions d’abord aimé savoir, quel est le rapport que vous avez entre la nudité et la société d’aujourd’hui ?

Je pense que c’est un rapport très complexe qui va vers deux extrêmes. On est dans une société ou d’un côté, on peut trouver une pornographie omniprésente sur Internet sur les kiosques à journaux. Elle est souvent d’ailleurs, non sollicitée et elle est plus présente qu’elle n’a jamais été. Et en même temps, on est capable de faire un très grand écart, parce que je pense que le corps est de plus en plus tabou.

On a un regain religieux. On a aujourd’hui de plus en plus une part de la société qui interdit la nudité. Si vous regardez sur les réseaux sociaux, par exemple, on ne peut pas montrer les seins nus d’une femme, on va être censuré. Donc, je pense qu’on fait vraiment un grand écart avec une diabolisation du corps et en même temps une pornographie omniprésente.

 

Et du coup, c’est pour cela que tu as décidé de représenter la nudité au travers de ton projet ?

Oui, j’avais envie de montrer un juste milieu. La nudité, non pas érotisé, non pas sexualisé, mais la nudité telle que l’on est, l’état naturel de l’homme à sa naissance, son état le plus primaire. Ça nous permettait de regarder l’être justement au-delà de tout contexte socioculturel. Parce que les vêtements nous positionnent, qu’on le veuille ou non, on va les choisir, on va les mettre et ça va nous donner des informations sur nous. En photographiant des individus justement sortis de ce contexte-là. Je laisse plus de place à l’imaginaire. Ça nous permet aussi, en même temps bien sûr, de travailler sur l’esthétisme du corps, la beauté d’une courbe et justement l’imperfection des corps, des êtres qui viennent. Parce que toutes mes photographies sont réalisées sans retouches, avec des êtres qui n’ont pas été castés.

 

Tu travailles sur ce projet depuis plus de dix ans. Est-ce que, dans ce travail au niveau de la nudité, tu as constaté une évolution ?

Oui, j’ai commencé exactement en 2009, j’ai photographié plus de 2500 personnes à l’heure actuelle. Effectivement, je pense à un changement des mentalités. Principalement sur les jeunes générations, le corps est devenu beaucoup plus tabou. Je crois qu’on les a beaucoup effrayés en leur disant que le nu était mal, le nu était sale, le nu était dangereux, que des photos peuvent circuler d’eux sur Internet, et ça fait peur.

En fait, c’est une question de contexte. Tout dépend de la photographie, si c’est une photographie pornographique ou pas. Si c’est une photographie artistique justement, dans ce que je fais. Mais je pense que l’évolution des mentalités change et les jeunes aujourd’hui ont de plus en plus peur d’être jugés, d’être regardés qu’auparavant.

 

Par rapport à ce constat, les gens qui viennent poser pour ce projet, comment vivent-ils leur nudité ? Et pourquoi est-ce qu’ils font la démarche de participer à ce projet ?

Pourquoi ils font la démarche ? En général, c’est une volonté d’acceptation du corps, de réappropriation, justement, de sortir des clichés qu’on peut avoir de la pub, de la mode. Ceux qui viennent en général ne sont pas forcément les plus à l’aise. Ce sont souvent des personnes qui ne sont pas totalement à l’aise dans leur corps et sont encore relativement pudiques. Il y a vraiment une démarche, on va aller au-delà de ses propres limites, au-delà de ses propres peurs.

En réalité, au bout de quelques minutes, quand on va commencer la séance photo. Les gens oublient, oublient la nudité rapidement et on revient, en fait, à cet état naturel. On oublie que l’on n’a pas de vêtements, on est tout aussi à l’aise qu’habillé. C’est un peu magique, et je crois que les gens, quand je le dis avant, ne me croient pas, et quand ils le vivent, sont vraiment surpris de leur propre réaction et le fait qu’ils aient oublié tout ça.

 

Surprenant ! Si j’ai bien compris, à la fin de ce projet, quand les gens viennent poser, une seule photographie est gardée lors de cette séance. Pourquoi est-ce que tu as choisi de limiter à cette prise unique ?

L’idée pour moi était un peu de sacraliser la mise à nu de chaque individu. On parle d’individus de tous les jours qui ont des métiers comme vous et moi, qui ne sont pas des modèles qui ne sont pas professionnels et donc qui vont dévoiler cette nudité un court instant. Le temps d’une séance photo. Je dirais même, le temps d’une seule photographie.

C’est vraiment un centième de seconde que l’on va conserver. Où ils ont dévoilé cette nudité au monde entier, et sur un seul instant. Elle est au fond extrêmement rare. De cette personne qui vient poser, vous n’aurez qu’une seule photographie de cette séance photo. Une seule image est conservée de cette nudité.

 

Quelles ont pu être les réactions des différents spectateurs ou du public de manière générale par rapport au projet ? Comment ont-ils réagi ?

J’ai de tout. J’ai forcément un biais parce que les gens qui viennent voir l’exposition, qui viennent me parler, sont des gens sensibles à ma démarche, à mon regard sur le corps. Mais globalement, c’est très positif. Ce que je retiens souvent, c’est que ça fait du bien de voir des corps vrais, authentiques, qui ne sont pas retouchés. Des gens avec des défauts, qui sont rendus beaux par ses défauts, par ses imperfections.

Donc, je pense qu’on en oublie rapidement la nudité. Quelqu’un m’a dit, un jour, que je faisais avant tout des portraits de gens nus. J’ai trouvé ça très juste. Je crois que je fais plus de portraits de gens nus que de la photo de nu.

 

Accrocher une œuvre d’art chez soi n’est jamais neutre. Qu’est-ce que ça peut dire sur nous, d’accrocher la photo d’un anonyme nu dans notre salon ?

Je crois que justement, accrocher de l’art, c’est de faire sa déclaration au monde, à ses proches et à son entourage. Ou même, à se le rappeler quotidiennement, ce dont on croit qui nous est cher, ce qui nous est important. Accroché un nu, je pense dans mon travail. Je crois que c’est dire que vous aimez l’humanité dans son unicité et dans sa diversité, que vous aimez l’imperfection du corps, que vous aimez, l’authenticité, la véracité de ces êtres qui sont venus se livrer, c’est leur rendre hommage. C’est, les regarder avec un œil admiratif et bienveillant à la fois. Je crois que c’est ça ce que ça veut dire accrocher un nu chez soi.